dimanche 10 juin 2012

LE LOCK-OUT


Le lock-out est une fermeture provisoire d’un atelier, d’un établissement ou d’une entreprise, décidée par l’employeur pour répondre à un conflit collectif.

La pratique du lock-out est apparue en 1850 en Grande Bretagne et ne fit son apparition en France qu’à la fin du XIX ème siècle. Peu utilisée pendant la première moitié du XX ème siècle, l’arme du lock-out y est, depuis lors, plus fréquemment maniée en liaison avec le développement de formes de grèves qui perturbent gravement le fonctionnement de l’entreprise. Rarement décidé à titre préventif dés l’annonce d’une cessation concertée du travail, le lock-out est souvent considéré comme le moyen le plus sûr de sauvegarder l’outil de travail que constitue l’entreprise, notamment en évitant l’occupation des bureaux ou des ateliers. L’employeur peut aussi trouver dans la décision de fermer les lieux de travail, le moyen d’affirmer son autorité et de rétablir la discipline.

Nous verrons donc dans une première partie la distinction qu’il faut faire entre la notion de lock out et des concepts voisins. Ensuite, nous exposerons la notion de lock out en France avec ses différentes incidences et enfin, nous présenterons le lock out hors de nos frontières.


I.       Distinction du lock-out des concepts voisins

Le lock-out n’ayant pas reçu de définition légale, il convient de ne pas le confondre avec des notions voisines : les mesures de lock-out sont adoptées par un employeur pour répondre à une situation spécifique.

A    Chômage technique

« Le chômage technique est la résultante d’un événement extérieur à la volonté des parties en présence dans l’entreprise, il n’est pas comme le lock-out  une pratique conflictuelle volontariste » (A. Ramin « le lock-out et le chômage technique » 1997)
Le chômage technique est imposé par la situation déficitaire de l’entreprise, par une nécessité économique ou technique (manque de matière première, arrêt de fourniture d’énergie,…), il a donc un caractère économique et subit. Le lock-out au contraire est volontaire lié à la grève, il a un caractère social et voulu.

B    Mise à pied

La mise à pied est une cession temporaire de travail imposée par l’employeur à un salarié qui a commis une faute. Il s’agit d’une sanction individuelle infligée en vertu du pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise, et non d’une mesure collective relevant de son pouvoir de direction.

C    Fermeture temporaire de l’entreprise assortie d’une promesse de récupération

Cette mesure trouve son fondement, comme le lock-out, dans le pouvoir de direction de l’employeur, mais elle n’entraîne aucune perte de salaire pour les non grévistes. Il s’agit d’une simple modification d’horaire d’entreprise rentrant dans le cadre des prérogatives d’un chef d’entreprise, s’il est confronté, par exemple, à une coupure de courant due à une grève de l’EDF.

II.    Le lock-out en France

Contrairement à une idée communément émise, le lock-out, ne vise pas en droit les grévistes : en tant que tels, ils ne perçoivent déjà aucun salaire. Fermer momentanément l’entreprise aboutit à priver de toute rémunération les non grévistes, qui s’accommodaient finalement assez bien de l’absence totale ou partielle de travail à effectuer tout en restant payés. Mais le but final poursuivi par l’employeur est de sanctionner les non-grévistes afin de faire pression sur les grévistes.

En l’absence de dispositions légales prenant nettement parti en faveur de l’illicéité ou de la licéité du principe du lock-out, il appartient à la jurisprudence de trancher la question de savoir si la pratique du lock-out est licite ou illicite.

A    Situation illicite

Le « lock-out » (ou dit « fermeture d’entreprise ») est interdit par la Cour de cassation au motif que l’employeur se place dans une situation de faute contractuelle vis-à-vis de ses salariés lorsqu’il ne fournit pas du travail alors qu’il en a la possibilité.

Nous pouvons distinguer trois situations illicites ou abusives de lock-out :

1        lock-out antérieur à une grève (dissuasion)

La fermeture anticipée de l’entreprise est analysée par la Cour comme une volonté de l’employeur de briser un mouvement de grève en préparation et considère que cette fermeture est constitutive d’une faute (notamment Cass. Soc. 05/06/1973 et 04/07/1989). En effet, le recours au lock-out avant la grève s’apparente à une mesure de prévention de la part de l’employeur.

Exemple : Dans un arrêt de 1968, les juges ont estimé qu’une société avait commis une faute en décidant un lock-out à la seule annonce de la grève envisagée, dans le but de briser le mouvement en préparation. Un autre arrêt a estimé qu’un employeur qui avait fermé son entreprise lors d’un appel à la grève de certains syndicats dans le cadre d’un mouvement de grève nationale, avait privé les salariés qui souhaitaient cesser le travail d’un droit constitutionnel.

2        lock-out concomitant à la grève (économies de fonctionnement)

La fermeture dite « défensive » de l’entreprise engage également la responsabilité de l’employeur vis-à-vis de chacun des salariés non-grévistes qui n’ont pas ou plus de travail. Cette situation est notamment possible lorsque seule une partie bien précise du personnel fait grève et que l’employeur ne juge plus rentable la poursuite d’activité alors qu’aucune situation d’urgence n’exige la fermeture (notamment Cass. Soc. 08/03/1972 et 11/03/1992).

Exemple : La Cour de cassation a par exemple jugé abusive la fermeture d’une entreprise à la suite d’une grève d’une heure. Dans un autre arrêt, elle a estimé que lors d’une grève dans une société d’armement, l’employeur aurait dû respecter son obligation de fournir un travail à ses salariés même si la grève avait rendu la production plus onéreuse et plus difficile.

3        lock-out postérieur à la grève (rétorsion)

La fermeture qualifiée de « mesure de rétorsion » (Cass. Soc. 25/09/2001) est jugée illégale par la jurisprudence, celle-ci s’exprimant par la volonté de l’employeur de retarder la reprise du travail (Cass. Soc. 29/01/1975) ou d’interrompre le travail alors que le travail a déjà repris après une période de grève (Cass. Soc. 04/11/1975).

Exemple : la décision d’une compagnie aérienne de suspendre les vols par rétorsion afin de sanctionner l’exercice du droit de grève est illicite.

B     Cas autorisés

Les situations de fermeture d’entreprise admise par la jurisprudence sont au nombre de trois :

1           force majeure ou situation contraignante

La force majeure est définie comme un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté de l’employeur qui rend impossible l’exécution du contrat de travail. Or la grève n’est pas toujours imprévisible dans la mesure où l’employeur est, dans le meilleur des cas (sauf cas de grève spontanée), informé des revendications préventives à la grève. C’est pour cette raison que la jurisprudence retient également la notion de « situation contraignante » (qui fait appelle au même critère « irrésistible » de la force majeure) pour élargir l’appréciation de la capacité à poursuivre l’activité. Les cas le plus souvent retenu pour faire état d’une force majeure sont : l’occupation des locaux par les salariés grévistes (Cass. Soc. 06/10/1971, incapacité à faire évacuer les lieux), entrave caractérisée à la liberté de travail des non grévistes par les grévistes (Cass. Soc. 13/11/1968), action de l’administration ou encore la désorganisation de l’entreprise (Cass. Soc. 17/03/1983).
C’est seulement dans un cas de force majeure ou de contrainte que la fermeture de l’entreprise par l’employeur est autorisée dans la mesure où celui-ci se trouve dans l’impossibilité absolue de fournir du travail aux salariés (Cass. Soc. 25/02/1988).

2           inexécution fautive des obligations des salariés

Dans le cas présent, l’inexécution des obligations par certains salariés peut amener la grève à être illicite (débrayages répétés, grèves tournantes paralysantes,..) et donc permettre le lock-out (arrêt et fermeture de l’entreprise). Ainsi est-ce le cas lorsque l’une des parties n’exécute pas ses obligations (loyauté notamment), l’autre partie n’est pas, par voie d’exception, obliger d’exécuter les siennes (fournir du travail par exemple). L’employeur se trouve alors dans son bon droit (Cass. Soc. 26/02/1975) à la condition de prouver l’exception d’inexécution à l’égard de chacun des salariés pris individuellement (Cass. Soc. 20/10/1976).

3           impératifs d’ordre et de sécurité

Dans le cadre de la nécessité de sauvegarder la sécurité et l’ordre au sein de ses locaux, l’employeur peut être autoriser à fermer temporairement son entreprise notamment lorsque les agissements des grévistes avaient entraînés l’intervention de la force publique (Cass. Soc. 21/03/1990) ou encore lorsque la sécurité des salariés et usagers extérieurs (clients, fournisseurs..) n’étaient plus assurés (Cass. Soc. 07/11/1990).

Toutefois, l’employeur doit être en mesure d’apporter la preuve que son action de fermeture était dictée par un intérêt légitime à agir.

Exemple : La COGEMA s’était trouvée, du fait de la grève totale du secteur de production, dans une situation contraignante qui ne lui était pas imputable et rendait impossible la fourniture du travail aux non grévistes (arrêt du 4 juillet 2000). Dans ce cas, l’employeur se voit reconnaître le droit du recours au chômage technique par dérogation au principe. Il faut que ce soit une « fermeture préventive » (arrêt Lesieur du 24 janvier 1968). Le critère de cette nature préventive réside de la « nécessité de maintenir l’ordre et la sécurité dans l’entreprise » (arrêt du 21 mars 1990, Société La Chapellerie française) ce qui constitue ainsi un fait justificatif de la fermeture.

C    Effets sur le contrat de travail

Lorsque l’employeur exerce un lock-out lors d’une situation qui le justifie, les contrats de travail sont suspendus. Aucun travail n’est demandé aux salariés (grévistes ou non grévistes) et donc l’employeur est dispensé de payer les salaires correspondant à la période de fermeture.

S’agissant des grévistes leur contrat de travail est déjà suspendu du fait de la grève : le lock-out n’a donc aucun effet à leur égard s’il se termine avant la reprise du travail. La situation des non grévistes est différente :

-s’ils décident de travailler en dépit du lock-out, leurs salaires sont dus à la condition que le travail fourni est été effectif et productif
-si les non grévistes ne travaillent pas pendant toute la période du lock-out, ils ne peuvent prétendre au versement de leur salaire que dans le cadre d’un lock-out régulier.

Par contre dans touts les cas ou la décision de lock-out n’est pas jugée régulière par les tribunaux, les salariés non grévistes peuvent demander le versement d’indemnités compensatrices des salaires perdus.

A noter que les heures perdues suite à la fermeture de l’entreprise ne peuvent être récupérées par la suite. En effet, l’article L212-2-2 du Code du travail énumère les cas limitatifs de récupération excluant ainsi le cas de grève et le lock-out.

D    Sanctions de l’illicéité du lock-out

En cas de recours illicite au lock-out, l’employeur engage sa responsabilité tant civile que pénale.

La sanction que l’employeur encoure en matière civile est l’indemnisation du préjudice subi par les salariés. Ainsi, l’employeur est tenu de payer aux salariés à titre de dommages et intérêts, les salaires correspondants aux journées de travail perdues du fait de la fermeture injustifiée (Cass. Soc. 23/10/1997).
La sanction pénale principalement encourue par l’employeur est non celle du lock-out mais celle résultant du délit d’entrave au fonctionnement des représentants du personnel (compétence consultative et sanction à l’article L432-1 et L483-1 du Code du travail) dans la mesure où la fermeture d’entreprise en situation « non urgente » de grève nécessite au préalable une consultation du Comité d’Entreprise (CE). Jusqu’à présent, une seule situation permet à l’employeur de se soustraire à cette obligation, celle de l’urgence ponctuelle (Cass. Soc. 21/07/1986).

E     Juridictions compétentes

Le tribunal de grande instance (TGI) est compétent pour le règlement des litiges en matière de conflits collectifs et le tribunal correctionnel pour le délit d’entrave au fonctionnement des représentants du personnel (exemple : absence de consultation du CE avant la fermeture de l’entreprise).


III. Le lock out vu hors de nos frontières

A    Le lock out en Europe

1.         Les textes européens

Au niveau européen, quelques références sont faites à ce type de mesure notamment à l’article 137 du traité de Rome (définition des compétences communautaires) et à l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne (actions et conflits collectifs).

Le projet de constitution européenne n'interdit pas le lock-out, ou « droit de grève des employeurs » : il reste du domaine national. En effet, l'article II-88 indique : « Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations syndicales, ont, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives et de recourir, en cas de conflit d’intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève. »

La France ne connaît pas « légalité des armes » allemande ni le droit de lock out évoqué par le traité d’Amsterdam et indirectement repris par l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux.

2.      Un cas particulier : le droit au lock out ou « l’égalité des armes » allemande

En Allemagne, au droit de grève des syndicats, le patronat oppose le lock-out. Avec cet instrument contesté aux yeux du grand public, mais légal, il est possible d'écarter les salariés de leur entreprise et donc de les priver de leur travail.  Lors des mouvements de grève, l'Etat reste neutre. C'est pourquoi les grévistes et les victimes du lock-out ne perçoivent aucune indemnité de chômage sur les fonds de l'assurance chômage.

Une « grève patronale » (ou lock-out) peut répondre à une grève des salariés, ce qui met les syndicats ayant déclenché le mouvement dans une situation financière difficile puisqu’ils doivent indemniser ces derniers. Les syndiqués sont soutenus pour leur manque à gagner à l'aide des allocations provenant des caisses de grève des syndicats alors que les salariés non syndiqués ne touchent rien.  

B     La réglementation du lock out hors de l’Europe

1.      En Russie

En Russie, l'Article 19 de la Constitution Fédérale de Russie qui stipule que «tous sont égaux devant la loi et le tribunal»,  interdit les lock-out.

2.      En Nouvelle-Zélande

La réglementation en Nouvelle-Zélande concernant les lock-out mentionne que ceux-ci sont illicites pendant qu'une convention collective est en vigueur (sauf dans certains cas, lorsque la grève ou le lock-out ont trait à des questions de santé ou de sécurité ou qu'ils ont lieu dans les dernières semaines d'application de la convention pour influencer les nouvelles négociations).

3.      Au Japon

Au Japon, le droit de l'employeur d'interdire l'accès de l'entreprise aux employés n'est défini ni dans la constitution ni dans les lois. Il est habituellement reconnu comme un droit à se défendre, bien que l'employeur doive tout d'abord obtenir une autorisation du tribunal.

4.      En Corée

Afin de protéger les installations industrielles, l'employeur peut avoir recours au lock-out mais seulement en réponse à une grève en cours. Le lock-out doit être notifié à l'avance à l'autorité administrative ou à la Commission des relations du travail. Pendant une action revendicative, l'employeur n'a pas le droit d'engager d'autres travailleurs non-grévistes ou de sous‑traiter le travail. Il n'a pas à verser les salaires.

5.      En Suisse

Le lock-out est la contre-mesure des employeurs contre des grèves. Il est défini en tant qu'écartement de plusieurs travailleurs du travail et du versement de salaire afin de mettre en œuvre certaines conditions économiques ou de travail. Le lock-out peut se restreindre à certains groupes de travailleurs, par exemple uniquement les grévistes ou les non-grévistes, mais il ne doit pas seulement viser de certaines personnes particulières.

Comme la grève, le lock-out a pour effet la suspension des obligations principales découlant des contrats de travail. Ce dernier n'est cependant pas résilié. Si le lock-out est illicite, l'employeur doit continuer à verser le salaire aux travailleurs et compenser le dommage causé.

6.      Au Canada : le lock out ou le « cadenassement »

Le terme de « cadenassement »a été employé lors de la dernière grève des employés de la société Radio-Canada pour décrire le lock-out décrété par la direction. Il faisait possiblement référence à la loi du cadenas sous le gouvernement Duplessis.

Ce surnom donné au lock out provient du fait que les autorités canadiennes pouvaient « ordonner la fermeture de la maison » et donc la cadenasser afin d'y empêcher l'accès.

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