Le lock-out est une
fermeture provisoire d’un atelier, d’un établissement ou d’une entreprise,
décidée par l’employeur pour répondre à un conflit collectif.
La pratique du lock-out
est apparue en 1850 en Grande Bretagne et ne fit son apparition en France qu’à
la fin du XIX ème siècle. Peu utilisée pendant la première moitié du XX ème
siècle, l’arme du lock-out y est, depuis lors, plus fréquemment maniée en
liaison avec le développement de formes de grèves qui perturbent gravement le
fonctionnement de l’entreprise. Rarement décidé à titre préventif dés l’annonce
d’une cessation concertée du travail, le lock-out est souvent considéré comme
le moyen le plus sûr de sauvegarder l’outil de travail que constitue
l’entreprise, notamment en évitant l’occupation des bureaux ou des ateliers.
L’employeur peut aussi trouver dans la décision de fermer les lieux de travail,
le moyen d’affirmer son autorité et de rétablir la discipline.
Nous verrons donc dans une
première partie la distinction qu’il faut faire entre la notion de lock out et
des concepts voisins. Ensuite, nous exposerons la notion de lock out en France
avec ses différentes incidences et enfin, nous présenterons le lock out hors de
nos frontières.
I. Distinction du lock-out des concepts voisins
Le lock-out n’ayant pas
reçu de définition légale, il convient de ne pas le confondre avec des notions
voisines : les mesures de lock-out sont adoptées par un employeur pour
répondre à une situation spécifique.
A Chômage technique
« Le chômage
technique est la résultante d’un événement extérieur à la volonté des parties
en présence dans l’entreprise, il n’est pas comme le lock-out une pratique conflictuelle volontariste »
(A. Ramin « le lock-out et le chômage technique » 1997)
Le chômage technique est imposé par la situation
déficitaire de l’entreprise, par une nécessité économique ou technique (manque
de matière première, arrêt de fourniture d’énergie,…), il a donc un caractère
économique et subit. Le lock-out au contraire est volontaire lié à la grève, il
a un caractère social et voulu.
B Mise à pied
La mise à pied est une
cession temporaire de travail imposée par l’employeur à un salarié qui a commis
une faute. Il s’agit d’une sanction individuelle infligée en vertu du pouvoir
disciplinaire du chef d’entreprise, et non d’une mesure collective relevant de
son pouvoir de direction.
C Fermeture temporaire de l’entreprise assortie d’une
promesse de récupération
Cette mesure trouve son
fondement, comme le lock-out, dans le pouvoir de direction de l’employeur, mais
elle n’entraîne aucune perte de salaire pour les non grévistes. Il s’agit d’une
simple modification d’horaire d’entreprise rentrant dans le cadre des prérogatives
d’un chef d’entreprise, s’il est confronté, par exemple, à une coupure de
courant due à une grève de l’EDF.
II. Le lock-out en France
Contrairement à une idée
communément émise, le lock-out, ne vise pas en droit les grévistes : en
tant que tels, ils ne perçoivent déjà aucun salaire. Fermer momentanément
l’entreprise aboutit à priver de toute rémunération les non grévistes, qui
s’accommodaient finalement assez bien de l’absence totale ou partielle de
travail à effectuer tout en restant payés. Mais le but final poursuivi par
l’employeur est de sanctionner les non-grévistes afin
de faire pression sur les grévistes.
En l’absence de
dispositions légales prenant nettement parti en faveur de l’illicéité ou de la
licéité du principe du lock-out, il appartient à la jurisprudence de trancher
la question de savoir si la pratique du lock-out est licite ou illicite.
A Situation illicite
Le « lock-out » (ou dit «
fermeture d’entreprise ») est interdit par la Cour de cassation au motif que l’employeur
se place dans une situation de faute contractuelle vis-à-vis de ses salariés
lorsqu’il ne fournit pas du travail alors qu’il en a la possibilité.
Nous pouvons distinguer trois situations illicites ou
abusives de lock-out :
1
lock-out antérieur à une
grève (dissuasion)
La fermeture anticipée de
l’entreprise est analysée par la Cour comme une volonté de l’employeur de
briser un mouvement de grève en préparation et considère que cette fermeture
est constitutive d’une faute (notamment Cass. Soc. 05/06/1973 et 04/07/1989).
En effet, le recours au lock-out avant la grève s’apparente à une mesure de
prévention de la part de l’employeur.
Exemple : Dans un
arrêt de 1968, les juges ont estimé qu’une société avait commis une faute en
décidant un lock-out à la seule annonce de la grève envisagée, dans le but de
briser le mouvement en préparation. Un autre arrêt a estimé qu’un employeur qui
avait fermé son entreprise lors d’un appel à la grève de certains syndicats
dans le cadre d’un mouvement de grève nationale, avait privé les salariés qui
souhaitaient cesser le travail d’un droit constitutionnel.
2
lock-out concomitant à
la grève (économies de fonctionnement)
La fermeture dite «
défensive » de l’entreprise engage également la responsabilité de l’employeur
vis-à-vis de chacun des salariés non-grévistes qui n’ont pas ou plus de
travail. Cette situation est notamment possible lorsque seule une partie bien
précise du personnel fait grève et que l’employeur ne juge plus rentable la
poursuite d’activité alors qu’aucune situation d’urgence n’exige la fermeture
(notamment Cass. Soc. 08/03/1972 et 11/03/1992).
Exemple : La Cour de
cassation a par exemple jugé abusive la fermeture d’une entreprise à la suite
d’une grève d’une heure. Dans un autre arrêt, elle a estimé que lors d’une
grève dans une société d’armement, l’employeur aurait dû respecter son
obligation de fournir un travail à ses salariés même si la grève avait rendu la
production plus onéreuse et plus difficile.
3
lock-out postérieur à la
grève (rétorsion)
La fermeture qualifiée de
« mesure de rétorsion » (Cass. Soc. 25/09/2001) est jugée illégale par la
jurisprudence, celle-ci s’exprimant par la volonté de l’employeur de retarder
la reprise du travail (Cass. Soc. 29/01/1975) ou d’interrompre le travail alors
que le travail a déjà repris après une période de grève (Cass. Soc.
04/11/1975).
Exemple : la décision
d’une compagnie aérienne de suspendre les vols par rétorsion afin de
sanctionner l’exercice du droit de grève est illicite.
B Cas autorisés
Les situations de fermeture d’entreprise admise par
la jurisprudence sont au nombre de trois :
1
force majeure ou
situation contraignante
La force majeure est
définie comme un évènement imprévisible, irrésistible et extérieur à la volonté
de l’employeur qui rend impossible l’exécution du contrat de travail. Or la
grève n’est pas toujours imprévisible dans la mesure où l’employeur est, dans
le meilleur des cas (sauf cas de grève spontanée), informé des revendications
préventives à la grève. C’est pour cette raison que la jurisprudence retient
également la notion de « situation contraignante » (qui fait appelle au même
critère « irrésistible » de la force majeure) pour élargir l’appréciation de la
capacité à poursuivre l’activité. Les cas le plus souvent retenu pour faire
état d’une force majeure sont : l’occupation des locaux par les salariés
grévistes (Cass. Soc. 06/10/1971, incapacité à faire évacuer les lieux),
entrave caractérisée à la liberté de travail des non grévistes par les
grévistes (Cass. Soc. 13/11/1968), action de l’administration ou encore la
désorganisation de l’entreprise (Cass. Soc. 17/03/1983).
C’est seulement dans un cas de force majeure ou de
contrainte que la fermeture de l’entreprise par l’employeur est autorisée dans
la mesure où celui-ci se trouve dans l’impossibilité absolue de fournir du
travail aux salariés (Cass. Soc. 25/02/1988).
2
inexécution fautive des
obligations des salariés
Dans le cas présent,
l’inexécution des obligations par certains salariés peut amener la grève à être
illicite (débrayages répétés, grèves tournantes paralysantes,..) et donc
permettre le lock-out (arrêt et fermeture de l’entreprise). Ainsi est-ce le cas
lorsque l’une des parties n’exécute pas ses obligations (loyauté notamment),
l’autre partie n’est pas, par voie d’exception, obliger d’exécuter les siennes
(fournir du travail par exemple). L’employeur se trouve alors dans son bon
droit (Cass. Soc. 26/02/1975) à la condition de prouver l’exception d’inexécution
à l’égard de chacun des salariés pris individuellement (Cass. Soc. 20/10/1976).
3
impératifs d’ordre et de
sécurité
Dans le cadre de la
nécessité de sauvegarder la sécurité et l’ordre au sein de ses locaux,
l’employeur peut être autoriser à fermer temporairement son entreprise
notamment lorsque les agissements des grévistes avaient entraînés
l’intervention de la force publique (Cass. Soc. 21/03/1990) ou encore lorsque
la sécurité des salariés et usagers extérieurs (clients, fournisseurs..) n’étaient
plus assurés (Cass. Soc. 07/11/1990).
Toutefois, l’employeur
doit être en mesure d’apporter la preuve que son action de fermeture était
dictée par un intérêt légitime à agir.
Exemple : La COGEMA s’était trouvée, du fait de
la grève totale du secteur de production, dans une situation contraignante qui
ne lui était pas imputable et rendait impossible la fourniture du travail aux
non grévistes (arrêt du 4 juillet 2000). Dans ce cas, l’employeur se voit
reconnaître le droit du recours au chômage technique par dérogation au
principe. Il faut que ce soit une « fermeture préventive » (arrêt Lesieur
du 24 janvier 1968). Le critère de cette nature préventive réside de la
« nécessité de maintenir l’ordre et la sécurité dans l’entreprise »
(arrêt du 21 mars 1990, Société La Chapellerie française) ce qui
constitue ainsi un fait justificatif de la fermeture.
C Effets sur le contrat de travail
Lorsque l’employeur exerce
un lock-out lors d’une situation qui le justifie, les contrats de travail sont
suspendus. Aucun travail n’est demandé aux salariés (grévistes ou non
grévistes) et donc l’employeur est dispensé de payer les salaires correspondant
à la période de fermeture.
S’agissant des grévistes
leur contrat de travail est déjà suspendu du fait de la grève : le
lock-out n’a donc aucun effet à leur égard s’il se termine avant la reprise du
travail. La situation des non grévistes est différente :
-s’ils
décident de travailler en dépit du lock-out, leurs salaires sont dus à la
condition que le travail fourni est été effectif et productif
-si
les non grévistes ne travaillent pas pendant toute la période du lock-out, ils
ne peuvent prétendre au versement de leur salaire que dans le cadre d’un
lock-out régulier.
Par contre dans touts les
cas ou la décision de lock-out n’est pas jugée régulière par les tribunaux, les
salariés non grévistes peuvent demander le versement d’indemnités
compensatrices des salaires perdus.
A noter que les heures
perdues suite à la fermeture de l’entreprise ne peuvent être récupérées par la
suite. En effet, l’article L212-2-2 du Code du travail énumère les cas
limitatifs de récupération excluant ainsi le cas de grève et le lock-out.
D Sanctions de l’illicéité du lock-out
En cas de recours illicite
au lock-out, l’employeur engage sa responsabilité tant civile que pénale.
La sanction que
l’employeur encoure en matière civile est l’indemnisation du préjudice subi par
les salariés. Ainsi, l’employeur est tenu de payer aux salariés à titre de
dommages et intérêts, les salaires correspondants aux journées de travail
perdues du fait de la fermeture injustifiée (Cass. Soc. 23/10/1997).
La sanction pénale
principalement encourue par l’employeur est non celle du lock-out mais celle
résultant du délit d’entrave au fonctionnement des représentants du personnel
(compétence consultative et sanction à l’article L432-1 et L483-1 du Code du
travail) dans la mesure où la fermeture d’entreprise en situation « non urgente
» de grève nécessite au préalable une consultation du Comité d’Entreprise (CE).
Jusqu’à présent, une seule situation permet à l’employeur de se soustraire à
cette obligation, celle de l’urgence ponctuelle (Cass. Soc. 21/07/1986).
E Juridictions compétentes
Le tribunal de grande instance (TGI) est compétent
pour le règlement des litiges en matière de conflits collectifs et le tribunal
correctionnel pour le délit d’entrave au fonctionnement des représentants du
personnel (exemple : absence de consultation du CE avant la fermeture de
l’entreprise).
III. Le lock out vu hors de nos frontières
A
Le lock out en Europe
1.
Les textes européens
Au niveau
européen, quelques références sont faites à ce type de mesure notamment à
l’article 137 du traité de Rome (définition des compétences communautaires) et
à l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne
(actions et conflits collectifs).
Le projet de
constitution européenne n'interdit pas le lock-out, ou « droit de grève
des employeurs » : il reste du domaine national. En effet, l'article
II-88 indique : « Les travailleurs et les employeurs, ou leurs
organisations syndicales, ont, conformément au droit de l’Union et aux
législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des
conventions collectives et de recourir, en cas de conflit d’intérêts, à des
actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la
grève. »
La France ne
connaît pas « légalité des armes » allemande ni le droit de lock out
évoqué par le traité d’Amsterdam et indirectement repris par l’article 28 de la
Charte des droits fondamentaux.
2.
Un cas
particulier : le droit au lock out ou « l’égalité des
armes » allemande
En Allemagne,
au droit de grève des syndicats, le patronat oppose le lock-out. Avec cet
instrument contesté aux yeux du grand public, mais légal, il est possible
d'écarter les salariés de leur entreprise et donc de les priver de leur travail.
Lors des mouvements de grève, l'Etat reste neutre. C'est pourquoi les
grévistes et les victimes du lock-out ne perçoivent aucune indemnité de chômage
sur les fonds de l'assurance chômage.
Une
« grève patronale » (ou lock-out) peut répondre à une grève des
salariés, ce qui met les syndicats ayant déclenché le mouvement dans une
situation financière difficile puisqu’ils doivent indemniser ces derniers. Les
syndiqués sont soutenus pour leur manque à gagner à l'aide des allocations
provenant des caisses de grève des syndicats alors que les salariés non
syndiqués ne touchent rien.
B
La réglementation du
lock out hors de l’Europe
1.
En Russie
En Russie, l'Article 19 de la Constitution Fédérale de Russie qui
stipule que «tous sont égaux devant la loi et le
tribunal», interdit les lock-out.
2. En Nouvelle-Zélande
La réglementation
en Nouvelle-Zélande concernant les lock-out mentionne que ceux-ci sont
illicites pendant qu'une convention collective est en vigueur (sauf dans
certains cas, lorsque la grève ou le lock-out ont trait à des questions de
santé ou de sécurité ou qu'ils ont lieu dans les dernières semaines
d'application de la convention pour influencer les nouvelles négociations).
3.
Au Japon
Au Japon, le
droit de l'employeur d'interdire l'accès de l'entreprise aux employés n'est
défini ni dans la constitution ni dans les lois. Il est habituellement reconnu
comme un droit à se défendre, bien que l'employeur doive tout d'abord obtenir
une autorisation du tribunal.
4.
En Corée
Afin de
protéger les installations industrielles, l'employeur peut avoir recours au
lock-out mais seulement en réponse à une grève en cours. Le lock-out doit être
notifié à l'avance à l'autorité administrative ou à la Commission des relations
du travail. Pendant une action revendicative, l'employeur n'a pas le droit
d'engager d'autres travailleurs non-grévistes ou de sous‑traiter le travail. Il
n'a pas à verser les salaires.
5. En Suisse
Le
lock-out est la contre-mesure des employeurs contre des grèves. Il est défini
en tant qu'écartement de plusieurs travailleurs du travail et du versement de
salaire afin de mettre en œuvre certaines conditions économiques ou de travail.
Le lock-out peut se restreindre à certains groupes de travailleurs, par exemple
uniquement les grévistes ou les non-grévistes, mais il ne doit pas seulement
viser de certaines personnes particulières.
Comme
la grève, le lock-out a pour effet la suspension des obligations principales
découlant des contrats de travail. Ce dernier n'est cependant pas résilié. Si
le lock-out est illicite, l'employeur doit continuer à verser le salaire aux
travailleurs et compenser le dommage causé.
6. Au Canada : le lock out ou le
« cadenassement »
Le
terme de « cadenassement »a été employé lors de la dernière grève des
employés de la société Radio-Canada
pour décrire le lock-out décrété par la direction. Il faisait possiblement référence à la loi du cadenas sous
le gouvernement Duplessis.
Ce surnom donné au lock out provient du fait que les
autorités canadiennes pouvaient « ordonner la fermeture de la maison » et donc
la cadenasser afin d'y empêcher l'accès.